Rencontre avec Luc Rudolph, auteur de 5000 policiers en résistance (Vidéo)

Frédéric Lauze, secrétaire général du SCPN a rencontré le commissaire divisionnaire honoraire Luc Rudolph, ancien directeur de la PP, historien de la Police nationale et de la résistance policière. Dans son livre, “5000 policiers en résistance”, Luc Rudolph effectue un travail colossal de recherches sur les policiers entrés en résistance. Le résultat de ses investigations va à l’encontre des idées reçues sur la Résistance et la Police. Les policiers de tout grade ont beaucoup plus résisté qu’il n’y parait, et certains sont même des héros méconnus. Luc Rudolph les sort de l’anonymat dans un ouvrage qui fera date.

Frédéric Lauze Pourquoi ce titre, 5000 Policiers en résistance ? Tu avances un chiffre fort, presque un manifeste. Est-ce pour rétablir une vérité historique méconnue ? Pour rééquilibrer une mémoire nationale trop souvent focalisée sur la collaboration policière ?

Luc Rudolph  Le chiffre de 5000 policiers résistants se situe de quelques milliers en-deça de la réalité, n’ayant retenu que les résistants ayant commis des actes de résistance de quelque importance et –le plus souvent- reconnus comme tels. En réalité, la Résistance policière est sans doute de l’ordre du double. Le problème est que si la collaboration est facilement identifiable, la Résistance est, par définition, discrète. Le souci a été simplement de rechercher une vérité moins simpliste que celle affichée par les médias et les historiens, qui se contentent trop souvent des sujets “choc” ou politiquement corrects.

FL Sabotages, évasions de prisonniers, transmission d’informations aux Alliés, engagement dans les maquis, participation à la Libération de Paris… On découvre dans ton livre une résistance active de nombreux policiers. Peut-on parler d’un mouvement structuré ou plutôt d’engagements personnels dispersés ?

LR Les comportements des policiers résistants n’ont pas été identiques et leur réalité devait être caché par des faux-semblants. Or, dès les premiers temps de la guerre les attitudes des policiers étaient variées : ceux qui ont choisi l’individualisme, ont aujourd’hui moins de chance d’apparaitre que ceux qui ont opté pour les réseaux. Par exemple, les sauveurs de Juifs ont à coup sûr été nombreux en regard du nombre de survivants. Dans mon ouvrage on voit de nombreux policiers qui ont su être “aveugles” quand il le fallait, dans un anonymat nécessaire… Dans la Résistance stricto sensu, s’intégraient ceux qui voulaient livrer “leur” guerre personnelle aux occupants. Les réseaux permettaient de regrouper et de démultiplier l’efficacité. Même la Libération de Paris relève de ce mix entre groupes constitués et individus ponctuellement agrégés. Mais la volonté de lutte contre l’occupant est apparue souvent très tôt, mais occultée par l’Histoire (Le Coq Gaulois, Féthy, La Voix du Nord…) : les policiers résistants ne sont pas  “politiquement corrects”.

FL Comment expliques-tu que l’image du policier résistant ait quasiment disparu de la mémoire collective, au profit de celle du fonctionnaire zélé qui exécute les ordres de Vichy ? Est-ce un oubli volontaire, une gêne, ou un simplisme historique ?

LR L’image des policiers a été délibérément écornée par le PC : il avait à occulter et se faire pardonner sa propre collaboration, puis neutraliser ses “meilleurs” ennemis. Quoi de plus facile que de cibler celui le plus redouté : la Police ? Il est curieux que jamais un historien professionnel n’ait fait comme ce qu’il fallait : identifier quelques policiers résistants à travers des livres de souvenirs, puis de même pour les complices, et dérouler à l’infini. Mais il faut pour cela ouvrir des centaines de milliers de dossiers. Par expérience, un sur cinquante concerne un flic.

FL Tu rappelles que 74 % des Juifs de France ont survécu à la Shoah, un chiffre bien supérieur à celui d’autres pays occupés. Peux-tu nous expliquer en quoi certains policiers ont contribué, parfois en désobéissant, à cette réalité historique ?

LR Les Juifs auraient pu être traités par les policiers français de manière à ce qu’il n’y ait pas 74% en France qui survivent mais jusque vers près de 100% de morts comme en Belgique ou aux Pays-Bas. Je relève dans mon livre nombre des stratégies d’évitement mises en œuvre par les policiers pour empêcher des arrestations. Comme pour la Résistance, les flics devaient faire le contraire de ce à quoi ils sont formés, et fermer les yeux.

FL Tu traces une différenciation nette entre les rôles des préfets, des magistrats et des commissaires de police sous l’Occupation. Comment ces figures d’autorité ont-elles réagi face aux ordres de collaboration ? Quels comportements ont dominé chez les commissaires ?

LR Pour les magistrats, c’est simple : les policiers ne pouvaient pas se cacher comme eux derrière le secret des délibérations, paravent de bien des dérives. Le corps préfectoral a fait comme la majorité des Français : il composait avec les évènements. Alimentée par un nombre important d’officiers recyclés, la majorité des préfets a fait comme la majorité des Français, suivant Pétain. Puis, la Libération venue, il a fallu dresser un contre-feu devant le cas Bousquet. Les figures de grands préfets comme Moulin et Bollaert ont puissamment contribué à occulter les collabos du corps dont on a parfois a perdu jusqu’aux noms. Englués dans une lutte des classes imbécile, les policiers sont ainsi passés en première ligne d’une collaboration dont ils n’ont été qu’un rouage –moindre que la SNCF-. Un commissaire avait au-dessus de lui sept niveaux hiérarchiques qui pesaient pour assurer l’exécution des ordres… Ces hommes n’ont pas à rougir de leurs actes, en majorité

FL Peux-tu nous parler de commissaires de Police résistants qui t’ont particulièrement marqué ? As-tu croisé des figures oubliées, ou des parcours exemplaires qui mériteraient d’être enseignés dans les écoles ou les commissariats ?

LR Le réseau du Coq Gaulois dirigé par le commissaire Albert Lebon a commencé dès la mi-40 à rassembler des armes, expressément pour la Libération de Paris. Livré aux Allemands par le préfet Langeron en personne, il est oublié au profit du réseau du Musée de l’Homme, pourtant démantelé après lui. Autre cas exceptionnel que celui d’Achille Peretti, devenu chef du super réseau Ajax. Quant au commissaire de Toulouse, Jean Phillipe : il a su faire preuve d’une élévation de pensée rare, en écrivant une lettre de démission défendant les Juifs au sein du réseau L’Alliance. Beaucoup d’autres commissaires méritent l’attention : ainsi de Philippe Pflugfelder, envoyé en Allemagne pour confirmer la réalité des exterminations, ou le parisien Charles Silvestri revendiquant la fusillade dont étaient menacés ses agents et aussitôt exécuté. Mais il serait indigne de ne pas relever les noms des inspecteurs, gardiens, et agents administratifs au courage incomparable, jusqu’aux femmes, rares dans la Police, mais qui ont payé un lourd tribut. Commissaires, Officiers, gardiens, ou administratifs morts pour le pays peuvent faire apparaître des noms d’éponymes pour de nombreuses promotions…

FL Tu montres que de nombreux policiers ont pris une part active à la Libération de Paris. Comment cela s’est-il traduit concrètement ? Et pourquoi cette participation a-t-elle été aussi peu reconnue dans les récits officiels de la Libération ?

LR La police parisienne a été, dès le début de l’Occupation, largement hostile aux Allemands. Cela ne l’a pas empêchée d’être le bouc émissaire occultant les dérives de bien d’autres corporations. Le faire savoir pervers l’a emporté sur l’héroïsme réel des policiers.

Aujourd’hui encore les exégètes ne savent pas se résoudre à parler vrai : ce sont les agents de la PP qui ont pourtant fourni la majorité des morts dans les combats de la Libération de Paris, 2000 ont été blessés, l’armement des débuts des combats fut très majoritairement celui de la Police, et les effectifs résistants mis en ligne étaient surtout composés de policiers, même les premiers drapeaux tricolores furent dressés par les policiers…

Il suffit de lire les journaux publiés en temps réel pour se convaincre du rôle de la PP et de ses hommes et femmes. Après… l’idéologie a repris le dessus.

FL Tu évoques le rôle de policiers dans des réseaux comme La Voix du Nord ou Schengen. Peux-tu nous dire comment ces structures opéraient et quel rôle spécifique jouaient les policiers en leur sein ?

LR Dans nombre de réseaux, les policiers ont occupé une place prépondérante (même en dehors des trois Mouvements de la PP). Si quelques policiers ont joué un rôle d’exécuteurs par ex d’Henriot ou au sein de Morhange, la plupart constituait un exceptionnel apport d’informations pour la Résistance.

FL Certains policiers résistants ont été dénoncés, arrêtés, déportés, exécutés. As-tu pu en quantifier le nombre ? Leur mémoire est-elle aujourd’hui honorée comme elle le devrait, selon toi ?

LR La Police a payé un lourd tribut à la guerre. Certains en étant simplement une cible pour le PC en raison de l’uniforme qu’ils portaient. Beaucoup sont entrés dans les catégories de résistants qui ont fourni leurs contingents à la mort, à la déportation ou à l’emprisonnement. Ce sont par milliers qu’ils se comptent.

FL À travers ton ouvrage, tu poses aussi une question plus large : quelle place la République accorde-t-elle à sa Police dans la mémoire nationale ? Est-ce une mémoire volontairement amputée, ou une mémoire blessée ?

LR La place de la Police dans la mémoire résistante reste faible en regard des services rendus. Il faut cependant noter que, à titre individuel, les policiers ont été assez largement remerciés : décorations étrangères, Croix de la Libération, Légion d’Honneur, Médailles de la Résistance, Croix de guerre, leur ont été largement remises, à hauteur de l’engagement massif des policiers.

FL Et toi, Luc, qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans ce travail monumental ? Près de vingt ans de recherches, d’archives, de témoignages… Quel a été ton moteur personnel pour porter cette lumière sur une mémoire enfouie ?

LR Pourquoi tout ce travail ? 

Par goût pour l’Histoire et dégoût des injustices. Pour pallier aux questions que m’ont posées flics anciens ou plus jeunes. Mais peut-être aussi le fait d’être pupille de la Nation (père tué) et regretter le fait que l’oubli enterre trop de gens avant même que leur soit rendu l’hommage dû par un Etat oublieux.

FL : Des motifs de bonheur et de satisfaction à travers ce livre ?

LR Des motifs de bonheurs ? D’avoir rencontré bien des parents de policiers qui furent de ces héros oubliés et re-exhumés. D’avoir pu retrouver des milliers de noms disparus avant même d’avoir été honorés. D’avoir fait réhabiliter Fernande Gaillard, première femme agent tuée et jetée comme traître dans une fosse commune à Millac, alors qu’elle était une grande résistante. D’avoir vu couler les larmes de joie de ses descendantes. D’avoir pu envoyer dans les oubliettes de l’Histoire le préfet Roger Langeron, abondamment honoré, mais traître bien réel, et avec lui les quelques policiers félons, qui occultent la mémoire de nos héros qui méritent enfin la lumière.

Éditions Les Livres de l’Ilot

65 €